Un groupe de citoyens de Saint-Anicet se bat contre les algues bleu-vert, qui prolifèrent près des rives du lac Saint-François. Frustrés d’être pris à la légère par les autorités, ils ont décidé de faire analyser – à leurs frais – la qualité de l’eau, dans l’espoir de faire bouger les choses.
Éric-Pierre ChampagneLa Presse
« C’est ça, les parfums du lac Saint-François ! », lance François Dragon, alors qu’il retire des algues et une boue visqueuse de l’eau à l’aide d’un râteau. Une opération qu’il doit recommencer presque chaque jour devant son chalet situé en bordure du lac, formé par un élargissement du fleuve Saint-Laurent au sud-ouest de Montréal. « C’est ce qu’on appelle une histoire sans fin », ajoute sa conjointe, Lyne Hamel, un brin découragée par la situation.
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Lyne Hamel et un citoyen de Saint-Anicet, en bordure du lac Saint-François
L’odeur d’œufs pourris qui se dégage lors de cette opération n’est malheureusement pas le seul inconvénient subi par le couple, qui a acheté cette maison il y a quatre ans. Il est pratiquement impossible pour eux de sortir leur embarcation sans draguer régulièrement le fond du lac en face de leur résidence. M. Dragon a même recours à une excavatrice, qu’il a modifiée, pour retirer le maximum de sédiments et d’algues mortes qui s’accumulent devant son chalet.
Ils ne sont pas les seuls à subir les inconvénients des algues bleues, qui prolifèrent dans cette partie du lac Saint-François. Plusieurs citoyens militent d’ailleurs au sein de l’Association pour la sauvegarde du lac Saint-François (ASLSF), fondée il y a 40 ans.
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C’est le cas notamment de Louis Martin, président de l’association. L’homme qui a grandi à Saint-Anicet se rappelle un lac aux plages de sable blanc dans lequel il se baignait fréquemment. « Aujourd’hui, on se baigne beaucoup moins qu’avant », précise-t-il.
Depuis quelques années, la situation s’est dégradée en bordure du lac Saint-François, particulièrement pour les habitants de Saint-Anicet et de Sainte-Barbe, deux municipalités situées le long du fleuve Saint-Laurent.
Des conséquences sur la santé
Les cyanobactéries à l’origine des algues bleu-vert peuvent avoir des conséquences importantes pour la santé humaine et les écosystèmes aquatiques. Selon Dominique Trudel, résidante de Saint-Anicet et membre du conseil d’administration de l’ASLSF, 10 cas de dermatite (inflammation de la peau) ont été signalés à la Santé publique au cours de la dernière saison estivale.
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Un groupe de citoyens devant le chalet de François Dragon et de Lyne Hamel
Les riverains ont aussi constaté une eutrophisation du lac Saint-François avec une quantité croissante de sédiments qui s’accumulent en bordure du plan d’eau.
Or, les autorités montrent peu d’intérêt envers cet enjeu, estime Louis Martin.
Chaque année, on pompe 27 milliards de litres d’eaux usées dans le lac. Il y a une indifférence à peu près totale sur le sujet.
Louis Martin, président de l’Association pour la sauvegarde du lac Saint-François
Depuis 2018, le ministère de l’Environnement ne fait plus de suivi systématique des algues bleu-vert au Québec et ne procède plus à des analyses régulières des cours d’eau les plus problématiques. Dans son bilan du plan d’intervention sur les algues bleu-vert 2007-2017, le Ministère indique entre autres que « la problématique des algues bleu-vert est aujourd’hui relativement bien connue de la population ». Il peut cependant procéder à des analyses après un signalement du public.
Louis Martin dit avoir signalé la présence d’algues bleu-vert plus d’une fois au ministère de l’Environnement, sans jamais obtenir de réponse.
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Le lac Saint-François, à Saint-Anicet
« Ce sont maintenant des initiatives locales qui permettent de faire ce genre de suivi », souligne Geneviève Audet, biologiste et directrice générale de la Société de conservation et d’aménagement des bassins versants de la zone Châteauguay.
Une station de pompage pour aider les agriculteurs
Depuis 1974, une station de pompage installée à l’embouchure de la rivière La Guerre et du fleuve Saint-Laurent permet de drainer les champs agricoles du secteur. L’établissement de la Voie maritime du Saint-Laurent et la construction d’un barrage hydroélectrique sur le fleuve dans les années 1950 se sont traduits par une élévation du niveau de l’eau du lac Saint-François.
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Station de pompage installée à l’embouchure de la rivière La Guerre et du fleuve Saint-Laurent
C’est pour donner un coup de pouce aux agriculteurs du secteur, souvent inondés, que le ministère de l’Agriculture a fait construire cette installation au début des années 1970. La station de pompage est aujourd’hui gérée par la MRC du Haut-Saint-Laurent. Selon le ministère de l’Environnement, la station et ses quatre pompes ont permis de récupérer 4600 hectares à cultiver.
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Un exemple de pompe installée par des agriculteurs dans leurs champs à Saint-Anicet
À la fin du mois de septembre, La Presse a aussi relevé la présence de plusieurs pompes installées par des agriculteurs dans leurs champs à Saint-Anicet. Sans elles, les champs seraient régulièrement inondés, explique Gino Moretti, maire de Saint-Anicet.
Selon Louis Martin, il ne fait aucun doute que la présence d’algues bleu-vert dans le lac Saint-François est attribuable au phosphore utilisé comme fertilisant dans les champs agricoles, d’autant que la production agricole s’est intensifiée au fil des ans.
Il note que plusieurs producteurs se spécialisent dans la culture du maïs, où le phosphore est largement utilisé.
Lassés d’être ignorés par les autorités, les membres de l’Association de sauvegarde du lac Saint-François ont changé leur stratégie en 2021. Depuis maintenant quatre ans, ils demandent au Comité ZIP du Haut-Saint-Laurent de réaliser des analyses annuelles de la qualité de l’eau en bordure du lac Saint-François. Total de la facture : près de 100 000 $, dont une partie a été absorbée par les municipalités de Sainte-Barbe et de Saint-Anicet. « On en a organisé, des soupers spaghetti et d’autres activités, pour récolter des fonds », lance Louis Martin.
Année après année, les résultats montrent des concentrations de phosphore largement supérieures aux normes. Au pont de la rivière La Guerre, en bordure du fleuve Saint-Laurent, situé à proximité de la station de pompage, les 15 prélèvements d’eau réalisés à ce jour en 2024 ont affiché des concentrations de phosphore supérieures à la norme de 0,03 mg/L.
« C’est très, très élevé, a réagi l’agronome Louis Robert lorsque La Presse lui a présenté les résultats d’analyse du Comité ZIP du Haut-Saint-Laurent. Mais il n’y a aucune surprise là-dedans. Tous les bassins versants agricoles au Québec ont une problématique de phosphore. »
Comme un potage au brocoli
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La cause principale des algues bleu-vert demeure les surplus de phosphore qui se retrouvent dans les cours d’eau.
Les algues bleu-vert ou cyanobactéries sont des organismes microscopiques qu’on retrouve dans les cours d’eau à l’état naturel. « Elles posent problème quand elles se multiplient trop et forment des “fleurs d’eau”. Celles-ci ressemblent souvent à une soupe de miniparticules ou à un potage au brocoli », précise le ministère de l’Environnement sur son site internet. La température de l’eau ou un faible courant peut favoriser leur prolifération, mais la cause principale demeure les surplus de phosphore qui se retrouvent dans les cours d’eau.